Lettre ouverte au ministre de la culture, de la Jeunesse et des Sports

Publié le par Albissaty

 

Objet : impudente escroquerie intellectuelle.

 

Monsieur le ministre,

Bien que je connaisse l’hypersensibilité des membres du gouvernement du régime aux avis de leurs concitoyens quant à la gestion des départements dont ils sont en charge (j’ose croire que vous êtes différent), je ne puis m’empêcher d’apporter mon témoignage   sur un sujet en rapport avec nos valeurs nationales que le régime ne semble donner aucune importance pendant qu’il laisse d’autres inexactitudes historiques se perpétuer sans scrupule.

Je dois vous avouer, Monsieur le ministre,  que ce n’est pas de gaieté de cœur que je me mets à vous écrire cette lettre ouverte, de peur de paraitre partisan aux yeux des complexés qui voient tout à travers le prisme de la région, de la tribu ou de la confession. Et donc, si je le fait, c’est plus par devoir que par nécessité. Il s’agit de l’histoire de ma patrie et de ses citoyens distingués qui est dénaturée.

Monsieur le ministre,  les peuples du monde entier se glorifient de leurs hauts faits sans distinction d’entre les  ethnies, les confessions ou les races. C’est ainsi que les égyptiens d’aujourd’hui, et qui sont majoritairement d’origine arabe, se vantent, se glorifient, de leurs « ancêtres » les pharaons. Ces arabes, qui étaient venus conquérir l’Egypte, ont gardé jalousement  tous les acquis culturels de ce territoire, et bien plus, ils l’adoptèrent et l’adoptent encore en tant que patrimoine national de tous les égyptiens.

De même, des peuples non arabes se glorifient et propagent des faits d’arabes qui, historiquement, ne font pas partie de leur groupe racial ou ethnique, mais avec qui, à un certain moment de l’histoire, ils avaient eu des contacts pour une cause ou pour une autre.

Chez-nous, au Tchad, il fut un moment où nous nous considérons tous comme étant les descendants des Saos, et nous nous en glorifions. Bien entendu, nous n’ignorions pas la nature de la composition historique de notre peuple. Aujourd’hui, on remarque avec consternation que non seulement le chauvinisme tribal gagne du terrain, mais une sorte d’abâtardissement de notre histoire est en marche, pour ne pas dire que c’est déjà chose faite.

L'histoire personnelle de ceux qui ont fait le Tchad reste entièrement à écrire.                      (Acheikh Ibni Oumar)

Les inexactitudes historiques c’est aussi le fait de trouver des origines des  choses autres que celles démontrées. Et c’est ce que mon camarade de lutte au sein de l’UGEST /URSS, Dr Ali Abderahmane Haggar, pour des raisons que je n’arrive pas comprendre, avait  fait, en jugeant utile de trouver une autre origine de l’appellation de  la ville d’Abeché.

Selon lui donc, au lieu de ce que tout le monde sait c'est-à-dire « Abou Aché », un arabe de la tribu Bani Halba, Ali Abderrahmane haggar disait dans son livre « le mendiant de l’espoir » que l’origine de l’appellation est plutôt Aboubachacha en arabe, «  le bienveillant ». Selon lui, c’était plutôt le comportement d’un prince wadaien qui  avait fait ses études en Egypte (si je me rappelle bien) et qui était « bachouche » (bienveillant) qui a poussé les habitants, de ce qui était encore une bourgade, à donner à la ville cette appellation « Aboubachacha ». Et il conclut que cela est donc la vérité.

Et pourtant, au-delà de ce prince imaginaire d’Ali Abderrahmane Haggar, il y a bien des princes Waddaiens et des humbles ressortissants du Ouaddai  dont personne n’ignore leurs hauts faits au moment de la pénétration coloniale aux pays du Tchad et que la république a le devoir d’inscrire leurs noms en lettre d’or.

Un autre mensonge historique, encore plus grave puisque plus récent, et c’est l’objet même de cette lettre ouverte, est ce que a raconté un certain Almoudir, un cantateur (chanteur classique), qui a manipulé une vérité historique absolue, que beaucoup des bathalais et bien d’autres connaissent encore par cœur.

En effet, dans un gros plan que lui a réalisé la télévision tchadienne, en parlant de ses chansons, il a repris en son compte une partie d’une prose  conçue par un autre chanteur classique, sans mentionner le nom du  vrai auteur. La partie de la prose concernée était «  abou sardjan tagtago wa chaddo ala Almantouch ».  Or l’honnêteté voudrait que dans des telles circonstances, il fallait mentionner le nom du vrai auteur de la prose, les circonstances dans laquelle elle a été dite (composée), où elle a été dite et à qui elle s’adressait. Rien de tout cela n’a été. Au contraire, le monsieur en a fait sienne et même la commentait largement à la face de toute la nation tchadienne.

Et pour lever cette équivoque, voici la vraie version de la prose:

1-      La majeure partie de la prose est la suivante :

 

Marhaba hababak ya cheikhna abou tarbouch

Kan sayir wa kan moghim lek albissat mafrouch

Abou sardjan tagtago chaddo ala almantouch

Hiraabak chabayh almoot amhine tarina mouss

Inta Tor djamous wassat albagar bitihous

wala timsah albahar khachmak malaan dourouss

 

 en arabe

 

مرحبة حبابك يا شيخنا ابو طربوش

كان ساير و كان مقيم ليك البساط مفروش

ابو سرجا طقطقوه شدوه على المنتوش

حرابك شبايه الموت امهن طرينة موس

انت ثور جاموس وسط البقر بتحوس

وللا تمساح البحر خشمك ملان دروس

Je ne vais traduire le sens de la prose en français parce que ce n’est pas cela le but de cette lettre, mais plutôt la fraude intellectuelle commise par le  cantateur  plagiaire. Il me faut donc juste préciser l’origine de la chanson.

Maintenant, sans dévoiler le vrai nom de celui à qui la chanson était adressée mais que je désignerais par « Monsieur X », je vous dis les circonstances dans lesquelles la chanson a été composée et  le nom de l’auteur-compositeur.

Les circonstances de la chanson.

Dans les années quarante,  un groupe d’hommes fut arrêté par les agents de l’ordre colonial. Ils n’avaient pas payé le « miri », l’impôt. Ils étaient plus d’une dizaine. Attachés les uns aux autres en formant une chaine humaines et jetés sur la route, sous le soleil, afin qu’ils soient vus par tout le monde. Il faisait très chaud.  Ces hommes étaient tenus ainsi en respect par des soldats noirs (on ne le savait pas s’ils étaient des tchadiens ou des sénégalais qu’on appelait chinéglates à l’époque) et bien entendu deux blancs, leurs chefs.  Monsieur X passant par la même route, fut d’abord surpris par cette masse « par terre » et tout de suite, en voyant les soldats et leurs chefs blancs, sa surprise se transformât en une indescriptible colère. Il descendit de son cheval « Almantouche » et se mit à couper la corde qui les liait en disant : « Allez-y, vous êtes libres et je verrai bien si ces bâtards des blancs seront capables de vous toucher encore. Je suis là»

 Je dois préciser que dans toute l’histoire du Tchad, il n’y a qu’un et un seul cheval appelé Almantouch . C’est celui de Monsieur X.

Les soldats noirs voulaient riposter mais leurs chefs blancs les ont dissuadé parce qu’ils auraient reconnu Monsieur X.  Oui, ce même Monsieur X  qui s’était battu avec le commandant blanc du grand Batha qui englobait la majeure partie du Guera actuel. Ce même Monsieur X qui ne répondait jamais présent lorsque le commandant de la région le convoque qu’à quelques rares exceptions liées à des questions humanitaires ou sociale dont il n’est pas nécessaire d’évoquer ici.

Que diriez-vous, monsieur le ministre, si on vous dit que lorsque le commandant de la région du Batha a besoin de lui, il se déplaçait lui-même pour aller le trouver dans son village ? Peut-être me diriez vous si ce  que je raconte était vrai, comment cela se faisait-il que ce citoyen « têtu » n’a pas été arrêté par les autorités coloniales ? Eh bien, je vous répondrais que si, il était effectivement arrêté et torturé sauvagement quand il avait encore moins de vingt ans, pour indiscipline à l’ordre colonial.

Vous pourriez poser encore d’autres questions que j’imagine facilement, mais je vous dis simplement d’aller vérifier vous-même ce que je dis, car cette lettre n’a pas pour objet de retracer la vie de cet homme ; permettez-moi donc de continuer.

Et donc, selon toutes les sources, lorsque Monsieur X a vu ce groupe d’hommes liés les uns aux autres, il descendit de son cheval Almantouch et leur lança : Assalam aleikou ; et se mit aussitôt à couper la corde qui liait les hommes. L’opération, comme on pourrait l’imaginer, n’a pas pris assez du temps. Selon les témoignages avant même qu’il ne finisse son œuvre, l’un des prisonniers  l’aurait reconnu puisqu’il lui répondit en ces termes :

Marhaba hababak ya cheikhna abou tarbouch

Kan sayir wa kan moghim lek albissat mafrouch

Abou sardjan tagtago chaddo ala almantouch

Jusqu’à la fin de la poésie (chanson).

Le poète s’appelait Hassaballah Algoudour. Il fut un grand compositeur des poésies. Il n’a jamais vu Monsieur X  auparavant mais il l’a reconnu à travers son acte, car il était impossible d’imaginer qu’un citoyen tchadien puisse aller contre la volonté des colons.  Libérer des prisonniers arrêtés par les colons, et quels prisonniers; des hommes qui ne payent l’impôt, il n’y a que Monsieur X qui en serait capable.

Par la suite, Hassaballah Algoudour a composé d’autres chansons à l’honneur de Monsieur X. Hassaballah Algoudour fut écrasé par le véhicule qui le transportait d’Arada à Fort-Lamy où il comptait venir enregistrer ses chansons à la Radio Nationale Tchadienne (RNT), au début de l’année soixante-dix.

Il n’est pas du tout difficile de vérifier ce que je dis. Il suffit juste que vous auriez la volonté d’ordonner une investigation par vos services compétents afin de rétablir la vérité pendant qu’il y a encore des hommes vivants qui connaissent l’histoire que je vienne de révéler.

 Le Tchad appartient à tous les tchadiens et la mémoire de tous les tchadiens doit être respectée quelle que soient leurs tribus,  leurs confessions ou leurs régions. Il ne devrait pas y avoir des super-tchadiens  qui ont tous les droits y compris celui d’écrire ou réécrire l’histoire de notre patrie commune à leur guise et d’autres qui doivent se résigner à subir les inexactitudes (quel euphémisme ! ) racontées à leur endroit.

Monsieur le ministre, l’image qu’ont les tchadiens des membres du gouvernement est bien entendu négative, et cela se vérifie tous les jours. Je crois que cette appréciation ne vous surprend guère.  Cependant, en ce qui concerne de cette affaire, permettez-moi de vous accorder  le bénéfice de doute que vous n’alliez pas vous prendre comme vos autres collègues l’auraient fait dans l’accomplissement de leurs tâches.

Dans l’espoir  que vous preniez ce que je viens de vous communiquer bien au sérieux, recevez mes félicitations anticipées.            

 

Fait à Khartoum le 22 janvier 2011

Dr Albissaty Saleh Allazam

 

 

 

 

 

Publié dans Actualité

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